« Il a livré trois manifestes, sans s'arrêter, sauf pour le changement de bobine et lorsque la caméra est tombée en panne : Mont-Laurier, l'histoire du Québec, la libération des femmes. Tout ce qui s'est passé est enregistré sur pellicule. C'était une situation unique ; soit je le filmais, soit je le ratais. Ce que l'on voit sur le film, c'est la bouche d'un révolutionnaire d'extrêmement proche ; ses lèvres, ses dents, son crachat, sa langue qui roule si joliment à travers son français, et enfin, les reflets dans ses dents de la fenêtre derrière moi. »
Joyce Wieland
C'est une époque de remises en question fondamentales dans tous les domaines, y compris l'art et le politique. Nous avons ici un exemple rare d'une oeuvre qui bouscule les idées reçues dans des acquis de perception sans lien intrinsèque. Et dans cette sélection, c'est le seul film réalisé par une femme. Malheureusement, les réalisatrices étaient peu nombreuses en 1972.
Ce film expérimental est une curiosité. Il est inhabituel qu'on aborde un sujet politique avec une recherche visuelle aussi radicale. En ne cadrant que la bouche de Pierre Vallières, Joyce Wieland veut supprimer toute distraction visuelle pour se concentrer sur le discours : Pierre Vallières associe la lutte pour l'indépendance du Québec au combat pour l'égalité des femmes et à la reconnaissance des droits des Autochtones. Ces préoccupations sont également exprimées dans son livre Les nègres blancs d'Amérique et, quoi qu'on pense du titre, elles sont toujours d'actualité.
Jean-Pierre Masse
Cinéaste
Joyce Wieland (1930 - 1998) est une cinéaste expérimentale et une artiste visuelle canadienne. Wieland a débuté sa carrière dans les années 1950 à Toronto, connaissant le succès comme peintre. Elle déménage à New York en 1962, où elle développera sa carrière d'artiste en intégrant de nouveaux matériaux et procédés. Les années 1960 et 1970 sont prolifiques pour l’artiste et ses œuvres se politisent ouvertement, traitant de nationalisme, de féminisme et d’écologie. Elle prend également de l'importance en tant que cinéaste expérimentale et bientôt, des institutions renommées telles que le Museum of Modern Art de New York diffusent ses films. En 1971, l'exposition True Patriot Love de Wieland fut la première exposition solo d'une artiste canadienne vivante au Musée des beaux-arts du Canada. Son œuvre, tant filmique que picturale, a été couronnée de nombreux prix.