« Mes journaux filmés de 1970 à 1999. Cela couvre mon mariage, la naissance de mes enfants, on les voit grandir. Des images de la vie quotidienne, des fragments de bonheur et de beauté. Les voyages en France, Italie, Espagne et Autriche. Les saisons, comme elles passent à New York, la vie à la maison, la nature. Rien d’extraordinaire, rien de spécial, des choses que nous vivons tous au cours de notre vie. Il y a beaucoup d’intertitres qui reflètent mes pensées de l’époque. La bande sonore est constituée de musiques et de sons enregistrés pendant la même période que les images, avec des improvisations d’Auguste Varkalis au piano. Quelquefois, je parle dans mon micro pendant que je suis en train de monter, au présent, avec le temps qui a passé. Ce film est aussi mon poème d’amour dédié à New York, ses étés, ses hivers, ses rues, ses parcs. »
Jonas Mekas
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Jonas Mekas, le poète cinéaste, est seul dans sa salle de montage. Il a plus de 70 ans. Il reprend ses bobines de film, centaines de rouleaux de pellicule sur lesquels s’étalent 30 ans de sa vie, et les assemble au hasard, selon l’ordre où il les trouve sur l’étagère. Parce qu’il tente encore d’en comprendre le sens, parce qu’il n’est pas encore arrivé à remettre en place les morceaux de sa vie, il se fie au désordre, à la chance, au hasard, et assemble les bribes de beauté qu’il a collectionnées sa vie durant.
« I never knew ART could be so much fun! » peut-on lire sur une banderole affichée sur un building de Soho. Les cinq heures montées par Mekas sont un concentré de bonheur. Marqué par la perte et l’exil - Mekas ayant fui la Lituanie, s’étant retrouvé dans un camp de travail nazi pendant la Deuxième Guerre mondiale, puis exilé en Amérique -, il s’attarde ici à retenir tout ce qui a signifié, comme un pied de nez à l’absolue noirceur. La famille. La camaraderie qui recouvre tout de sa présence rassurante, pleine, joyeuse. La chaleur de l’été. La lourdeur frémissante et électrique des orages. La paix pastorale des petits matins. Les bouteilles de vin partagées au goulot. Les discussions sur Nietzsche. Le brouillard bienheureux de l’enfance. Il s’attarde, s’accroche et se réfugie à chaque lueur entraperçue, pour ne pas être totalement perdu dans ce monde d’exil et de souffrances. Véritable ode à la vie, révélant avec une grâce inouïe les détours anodins où se cachent son essence, sa plénitude, ce film est un puissant manifeste contre le spectaculaire.
« Those brief moments, those moments… And that is maybe what it’s all about… Forget eternity, enjoy. »
Naomie Décarie-Daigneault
Directrice artistique de Tënk.ca
Jonas Mekas est né en 1922 à Semeniskiai en Lithuanie. En 1949, son frère Adolfas et lui sont contraints de fuir leur pays, envahi par l'Union soviétique, mais sont arrêtés par les Nazis et emprisonnés dans un camp de travail en Allemagne. Après la guerre, Jonas et son frère quittent pour New York où ils deviendront les chefs de file du cinéma underground américain.
Deux semaines après son arrivée à New York, Jonas Mekas achète une Bolex et se met à filmer sa vie. Il écrit également sur le cinéma : il fonde la revue "Film Culture" en 1953 et tient à partir de 1958 la chronique cinéma du "Village Voice". Il est également l’un des fondateurs de la Film-Maker’s Cooperative et de l’Anthology Film Archives, respectivement première coopérative au monde de diffusion du cinéma indépendant et expérimental et première cinémathèque du cinéma indépendant et d’avant-garde. Mekas a produit une œuvre de plus de 60 films, dont la plupart sont des journaux filmés, il a réalisé des installations, en plus d'avoir publié de la poésie et divers écrits sur le cinéma. Légende mondiale du cinéma d'avant-garde, poète, Jonas Mekas est décédé à l'âge de 96 ans le 23 janvier 2019.